Monday 6 October 2008

Le Festival de Stratford upon Avon

Le « Grand Will » réincarné

Sous le regard indifférent des cygnes, à l’ombre des saules pleureurs, vous faites la queue pour obtenir des billets de théâtre. Il est dix heures ; le guichet de location vient d’ouvrir ; les hippies qui ont dormi sur les marches du Royal Shakespeare Theatre seront les premiers servis.

Notre contemporain

Si, après des heures d’attente au bord de la rivière, vous arrivez à décrocher, à l’arraché, mais dans la dignité, un billet, alors préparez-vous à recevoir un choc. Comme l’a dit, ici même, Matthieu Galey, « Shakespeare n’est plus tabou ». En voyant les représentations de la R.S.C. à Stratford on se demande s’il l’a jamais été. Il y a longtemps que Peter Brook et Terry Hands traitent Shakespeare comme leur contemporain. Mais ils ne sont pas les seuls. Les metteurs en scène de la R.S.C. sont sept comme les Merveilles du Monde, ou les nains de Blanche-Neige. Tous des hommes. Serait-on misogyne dans la « Maison de Shakespeare » ? Il y a une femme pourtant, elle s’appelle Buzz Goodbody, elle a vingt-six ans et n’est encore qu’assistante. Cette année, cependant, elle monte seule Comme il vous plaira, fin juin. Signe particulier de Buzz : elle est marxiste et le fait savoir.

Autre personnage : l’érudit, l’ancien prof de Cambridge : John Barton, gentil, barbu comme un faune, les yeux bleus un peu fous. Il se prend d’ailleurs pour Shakespeare, il « fait » du Shakespeare et il trompe les savants avec ses vers. Sa dernière trouvaille : faire jouer Richard II et Bolingbroke par deux acteurs qui se relaient dans les deux rôles – sur le thème du jeu théâtral Richard II prend tout à coup une autre dimension. Les protagonistes : Ian Richardson (Marat dans Marat/Sade) et Richard Pasco prennent tant de plaisir à ce jeu de masques qu’ils veulent tente la même expérience avec Claudius et Hamlet.

Tout se passe démocratiquement dans cette maison, le directeur, Trevor Nunn, n’étant là que pour harmoniser les discussions toujours longues et mouvementées. Ce rôle pacificateur lui va bien : il a l’air d’un sage oriental, longs cheveux, barbe noire et yeux légèrement bridés. Cette année, il ne dirigera pas, il se repose sur ses lauriers de l’année dernière, et se remet de sa surprise : le succès de l’Orgie Romaine qu’il a montée en 72. Les quatre tragédies romaines de Shakespeare sont très mal cotées au Box Office en général, peut-être parce qu’on ne les avait jamais jouées ensemble.

Terry Hands, lui, ne chôme pas, stimulé par son triomphe en France et en Angleterre avec la Comédie-Française, il a mis en scène – toujours pieds nus, pour être fidèle à son image – Roméo et Juliette. Gageons qu’il y a des hochements de tête désapprobateurs dans le public, parmi la vieille garde, mais les jeunes sont enthousiasmés de ne plus avoir à ingurgiter Shakespeare comme une potion.

Stratford-sur-kitsch

On ne peut encore rien dire de la quatrième pièce de la saison, on sait seulement que ce sera La mégère apprivoisée mise en scène par Clifford Williams (rappelez-vous le scandale causé par Le Vicaire et Oh ! Calcutta, il en est responsable), avec en vedette Alan Bates, pour la première fois sur la scène de Stratford, s’en s’être fait trop prier. La plupart des acteurs anglais rêvent de faire un petit tour sur les planches du R.S.T... Il n’y a plus de troupe permanente : la compagnie était fière de son homogénéité mais elle se sclérosait. Les contrats à long terme enchaînaient les acteurs qui se sauvaient à la première occasion. Il y a toujours des Artistes Associés, ils ont droit, comme les Comédiens Français à une mention sous leur nom, et on peut en voir la liste sur les programmes de la R.S.C., mais combien d’entre eux n’ont pas joué à Stratford depuis des années ! On renouvelle partiellement la troupe tous les deux ans. Shakespeare a besoin de sang neuf. Mais il y a des fidèles, des acteurs comme Ian Richardson qui sont restés plus de dix ans avec la R.S.C., se sont évadés momentanément de « l’Usine de Confitures » (comme on appelle le R.S.T.) et sont revenus « pleins d’usage et raison... »

Est-il besoin de parler de Peter Brook, le globe-trotter, l’enfant terrible de la R.S.C., l’insaisissable, qui terrifie les acteurs et les fait sortir d’eux-mêmes ? Ceux qui ont vu Marat/Sade et, cet hiver à Paris, Le Songe d’une nuit d’été, sauront à quels dons de magicien je fais allusion. Si l’année prochaine vous avez le courage de faire la queue à Stratford-sur-Kitsch, vous pourrez peut-être voir un de ses spectacles. A moins qu’il ne soit alors en Alaska ou à la Terre de Feu. Mais les six autres apprentis sorciers et adorateurs du Barde, seront, eux, fidèles au poste, unis dans le même amour de Shakespeare. Mais un amour iconoclaste.


Article publié dans Les Nouvelles Littéraires, le 11 juin 1973. C'est cet article, qu’un des acteurs épingla à l’Entrée des Artistes du RST, qui me permit de faire connaissance avec Terry Hands.

2 comments:

SharonM said...

Tres interessant - mais je le regret que j'ai oublier trop de la Francaise apprendu a l'ecole depuis beaucoup des annees (and if that doesn't tell you that my French is pathetically poor these days, nothing will).
But I did have a reasonably good understanding of some of what you were describing.

Bela said...

Thanks very much, S! I'm glad you managed to understand what I wrote and found it interesting. Of course, it's nothing new to anyone now, but, at the time, very few articles had been printed about the RSC in the French press: the editor of Les Nouvelles Littéraires readily agreed when I suggested I should write smthg about it. That short piece opened quite a few doors for me.